Telerama : Apres vingt ans d'existence, Cure court toujours. Vous avez souvent change de formation. Est-ce le secret de la longevite du groupe ?
Robert : En grande partie. Il y a bien eu cinq Cure differents depuis nos debuts ; le groupe mue, se transforme. Les nouveaux apportent toujours quelque chose d'extra-musical, des idees, un regard, des humeurs. Le groupe est davantage une somme de personnalites que de competences techniques. Certains membres etaient meme d'epouvantables musiciens, mais ils etaient mes amis. Seul, je ne m'amuserais pas. J'aime la compagnie.
Telerama : Est-ce difficile de travailler avec vous ?
Robert : Plus maintenant. Mais il y a dix ans, sans doute. Je me fichais des desirs des autres, il leur etait facile de me laisser faire tout le boulot. A present, je leur demande de s'investir, de donner leur avis. Roger (O'Donnell, claviers) me disait qu'a l'epoque de Disintegration (1989), il ne suggerait jamais rien parce qu'il savait que je ne l'ecouterais pas. Aujourd'hui, il propose, il propose. On ne peux plus l'arreter (rires).
Telerama : Depuis le debut, vous etes l'auteur compositeur de Cure, pourtant les chansons sont toujours signees par l'ensemble du groupe. Pourquoi ?
Robert : Je ne veux pas que les autres croient que j'impose mes compositions pour gagner plus d'argent. Alors, tout le monde signe et touche des droits d'auteur. Je n'aimerais pas que Cure finisse comme The Jam, qui se sont separes parce que leur leader Paul Weller voulait rafler tout le pactole en ne chantant que ses chansons. Je serais vraiment mal a l'aise si je gagnais enormement et les autres presque rien. Vous me voyez leur payer des coups au pub parce qu'ils n'ont pas un rond !
Telerama : Le groupe semble tenir une place capitale dans votre vie. Pouvez-vous exister sans lui ?
Robert : J'ai toujours eu du mal a me lier avec des gens, et c'est encore plus difficile aujourd'hui. Comment rencontrer quelqu'un qui n'a pas de prejuges sur moi ? Comment etre Robert Smith dans le "monde reel", un anonyme parmi les anonymes ? Je dois depenser beaucoup d'energie pour me faire des amis. Il m'a fallu des annees pour connaitre Jason (le nouveau batteur). Maintenant, je peux parler avec lui d'egal a egal. En fait, je n'ai que cinq veritables amis... et la plupart sont dans le groupe.
Telerama : Depuis des annees, on parle de votre album solo. Sortira-t-il un jour ?
Robert : Pour l'instant il n'y a que huit chansons, enregistrees entre 1981 et 1983, a l'epoque de Seventeen Seconds, Faith et Pornography. Ce sont des oeuvres de jeunesse, douces et reveuses. Si je les reecoutais aujourd'hui, certaines finiraient a la poubelle. Les bandes sont chez moi, bien cachees, et je n'autoriserai pas leur publication tant que Cure existera. Je ne veux pas qu'on pense que j'en ai assez du groupe.
Telerama : Jimi Hendrix, dont vous avez repris Purple Haze sur un album hommage, semble tenir une place privilegiee dans votre pantheon musical...
Robert : Pour rien au monde je n'aurais joue de la guitare sur ce disque. C'eut ete une insulte ! Il faut avoir la pretention d'un guitar hero comme Eric Clapton ou Jeff Beck pour oser se mesurer a lui. Hendrix a ete un modele. Comme tout ecolier, je vivais dans un univers tres etroit. En ecoutant sa musique dans ma chambre, j'imaginais un autre monde, extraordinaire. Hendrix incarnait la liberte supreme. Sa musique est profondement ancree en moi. Qu'il soit devenu un objet de culte ne me derange pas, la mort n'enleve rien au genie. Mes sentiments a l'egard de Joy Division ou de Nirvana n'ont pas change apres la mort de Ian Curtis et de Kurt Cobain. La force de leurs premiers albums demeure intacte.
Telerama : Que diriez-vous si d'autres artistes vous rendaient, a votre tour, un hommage discographique ?
Robert : Si Cure existait encore, ca m'embarrasserait. Mais en guise d'epitaphe apres notre separation, pourquoi pas... A condition que je puisse choisir les groupes moi-meme (rires).
Telerama : Qui voudriez-vous ?
Robert : Supergrass, My Bloody Valentine, Dinosaur Jr, Heather Nova...
Telerama : Vous n'avez pas cite U2...
Robert : J'ai promis de ne rien dire de mechant sur quiconque... Ce n'est pas mon groupe prefere. De toute facon, ils sont trop occupes avec Pavarotti !
Telerama : Vos fans cherchent a tout prix a vous ressembler. Ils se coupent les cheveux et s'habillent comme vous. N'est-ce pas effrayant de voir son image demultipliee a l'infini ?
Robert : Les premieres fois, ca m'a mis franchement mal a l'aise. Mais on s'habitue. J'ai compris, en parlant avec eux, qu'ils avaient moins envie de s'identifier a moi que besoin d'appartenir a une communaute. Pour eux, Cure compte tellement qu'ils veulent en faire partie, d'une maniere ou d'une autre. De toute facon, je ne peux pas aller contre ca. Mon image ne m'appartient plus.
Telerama : Vouss arrive-t-il de vivre le succes comme un harcelement ? RS. : Quand nous jouons au Bresil, par exemple, il y a une pression enorme. Il ne s'ecoule pas une seconde sans que les gens me devisagent. Meme quand je vais aux toilettes, les fans me suivent pour voir ce que je vais faire. Les autres trouvent ca drole. Moi pas ! C'est assez eprouvant, mentalement.
Telerama : Que pensez- vous de ces groupes rock qui enregistrent des chansons pour des films hollywoodiens ? RS. : Comme nous ? (Rires.) Nous recevons au moins dix propositions par an. A croire que c'est chic d'avoir Cure sur sa bande son... Mais jamais pour les films que nous aimons. Alors, generalement, nous refusons. Nous avons ecrit un titre pour le film The Crow parce que j'aimais bien la bande dessinee dont il est tire. Le realisateur John Woo a fait du bon boulot. Nous voulions l'aider. En revanche, notre collaboration a Judge Dredd etait plus ironique. Nous avons grandi en lisant ses aventures et pensions qu'il serait difficile d'en tirer un mauvais film. Si Stallone portait son casque tout au long du film et n'ouvrait pas la bouche, ca pouvait marcher. Malheureusement, on lui a donne des dialogues... Qui plus est, nous avons rate la chanson.
Telerama : Tim Burton vous a propose plusieurs fois de collaborer a ses films...
Robert : Il nous contacte regulierement mais, a chaque fois, nous sommes en tournee ou en train de preparer un album. Je n'aime pas Batman, mais ses autres films ne sont pas mal, surtout Edward aux mains d'argent. Je pense que le meilleur de son oeuvre est a venir.
Telerama : Son imaginaire, ou il est beaucoup question d'enfance, de contes, de poesie macabre, semble assez proche du votre...
Robert : (Gene.) Oui et non. C'est normal qu'on nous associe mais je ne suis pas aussi monolithique qu'on veut bien le croire. Je ne passe pas mon temps a lire de la poesie romantique francaise ou a regarder les films de Tim Burton. Ce que je fais avec Cure n'est qu'une facette de ma personnalite. Vous seriez surpris si je revelais la partie la plus intime de ma vie. Malheureusement pour vous, elle ne regarde que moi !!!
Telerama : Avez-vous lu Alice au pays des merveilles ? Quel personnage aimez-vous particulierement ?
Robert : Alice (eclat de rire). Toujours Alice. C'est elle qui s'amuse le plus. J'ai deux poupees chez moi. Une d'Alice et une du chat de Chester. J'adore le dessin anime de Walt Disney. La scene ou ce chat de toutes les couleurs est sur le champignon et interroge Alice m'emerveille toujours.
Telerama : Vous considerez-vous comme un veritable adulte ?
Robert : Je ne crois pas connaitre quelqu'un qui le soit vraiment. Cet hiver, mes parents sont venus et nous avons fete les 75 ans de mon pere. Malgre leur age, ce ne sont toujours pas des adultes. Nous avons parle pendant trois heures et fini completement saouls. Nous sommes alles nous promener dans le jardin et avons fait une bataille de boules de neige. Je ne vois vraiment pas l'interet d'etre adulte. Evidemment, je suis responsable des gens autour de moi, du groupe. Nous n'avons pas de manager, nous controlons nous-memes nos affaires. Si j'arrete, ils arretent aussi. Les factures, les contacts avec la maison de disques, toutes ces discussions d'adultes a propos de notre carriere, je connais. Je m'astreins a le faire, mais ca me rend fou. Je prefere de beaucoup la compagnie des enfants. Sans pour autant vouloir leur ressembler. A 37 ans, ce serait pitoyable. Mais je comprends leurs reactions. Le jour ou on ne comprend plus les enfants, on est devenu un veritable adulte.
Telerama : Vous n'avez jamais cache vos penchants pour l'alcool...
Robert : C'est utile dans un groupe. Ca fait tomber les inhibitions. La difference, c'est le jour d'apres. La, pour le coup, on se sent adulte : les enfants n'ont pas la gueule de bois...